Extrait 1 :
La volonté est conçue comme une faculté de se déterminer soi-même à agir conformément à la représentation de certaines lois. Et une telle faculté ne peut se rencontrer que dans des êtres raisonnables. Or ce qui sert à la volonté de principe objectif pour se déterminer elle-même, c'est la fin, et, si celle-ci est donnée par la seule raison, elle doit valoir également pour tous les êtres raisonnables. Ce qui, au contraire, contient le principe de la possibilité de l'action dont l'effet est la fin s'appelle le moyen. Le principe subjectif du désir est le mobile, le principe objectif du vouloir est le motif ; de là la différence entre des fins objectives qui tiennent à des motifs valables pour tout être raisonnable. Des principes pratiques sont formels, quand ils font abstraction de toutes les fins subjectives ; ils sont matériels, au contraire, quand ils supposent des fins de ce genre. Les fins qu'un être raisonnable se propose à son gré comme effets de son action (les fins matérielles) ne sont toutes que relatives ; car ce n'est simplement que leur rapport à la nature particulière de la faculté de désirer du sujet qui leur donne la valeur qu'elles ont, laquelle, par suite, ne peut fournir des principes universels, pour tous les êtres raisonnables, non plus que des principes nécessaires et valables pour chaque volition, c'est-à-dire de lois pratiques. Voilà pourquoi toutes ces fins relatives ne fondent que des impératifs hypothétiques.
Mais supposé qu'il y ait quelque chose dont l'existence en soi-même ait une valeur absolue, quelque chose qui, comme fin en soi, pourrait être un principe de lois déterminées, c'est alors en cela et en cela seulement que se trouverait le principe d'un impératif catégorique possible, c'est-à-dire d'une loi pratique.
Emmanuel KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, tr. Delbos, Delagrave, Paris, 1989, p. 147-148.
Questions :
1. Pourquoi la volonté, définie ici comme "faculté de se déterminer soi-même à agir conformément à la représentation de certaines lois" ne peut-elle "se rencontrer que dans des êtres raisonnables" ?
2. Quelle fonction est-elle ici assignée à la fin ?
3. À quelle condition la fin peut-elle servir de "principe objectif" à la volonté pour "se déterminer elle-même" ?
4. En quoi, sous cette condition, la fin doit-elle "valoir également pour tous les êtres raisonnables" ?
5. Comment le concept de moyen est-il ici défini ?
6. Qu'est-ce qui définit et distingue un mobile d'un motif ? En quoi cette distinction permet-elle de comprendre la différence entre des principes ou fins subjectives, et des principes ou fins objectives de l'action ?
7. Qu'est-ce qui distingue les principes pratiques formels de l'action, de ses principes matériels ?
8. Pourquoi "les fins qu'un être raisonnable se propose à son gré comme effets de son action" ne peuvent-elles fonder que des impératifs hypothétiques ?
9. Dans quel type d'être faut-il dès lors nécessairement rechercher le principe d'une loi pratique, c'est-à-dire le fondement métaphysique de la possibilité d'un impératif catégorique ?
10. Expliquez la différence entre "fins relatives" et "fin en soi". Pourquoi les premières apparaissent-elles au pluriel dans le texte, tandis que la seconde apparaît au singulier ?
11. En quoi la nature d'être raisonnable satisfait-elle aux exigences du type d'être recherché ?
Extrait 2 :
Or je dis : l'homme, et en général tout être raisonnable, existe comme fin en soi, et non pas simplement comme moyen dont telle ou telle volonté puisse user à son gré ; dans toutes ses actions, aussi bien dans celles qui le concernent lui-même que dans celles qui concernent d'autres êtres raisonnables, il doit toujours être considéré en même temps comme fin. Tous les objets des inclinations n'ont qu'une valeur conditionnelle ; car, si les inclinations et les besoins qui en dérivent n'existaient pas, leur objet serait sans valeur. Mais les inclinations mêmes comme sources du besoin, ont si peu une valeur absolue qui leur donne le droit d'être désirées pour elles-mêmes, que, bien plutôt, en être pleinement affranchi doit être le souhait universel de tout être raisonnable. Ainsi la valeur de tous les objets à acquérir par notre action est toujours conditionnelle. Les êtres dont l'existence dépend, à vrai dire, non pas de notre volonté, mais de la nature, n'ont cependant, quand ce sont des êtres dépourvus de raison, qu'une valeur relative, celle de moyens, et voilà pourquoi on les nomme des choses ; au contraire, les êtres raisonnables sont appelés des personnes, parce que leur nature les désigne déjà comme fins en soi, c'est-à-dire comme quelque chose qui ne peut pas être employé simplement comme moyen, quelque chose qui par suite limite d'autant toute faculté d'agir comme bon nous semble (et qui est un objet de respect). Ce ne sont donc pas là des fins simplement subjectives, dont l'existence, comme effet de notre action, a une valeur pour nous ; ce sont des fins objectives, c'est-à-dire des choses dont l'existence est une fin en soi-même, et même une fin telle qu'elle ne peut être remplacée par aucune autre, au service de laquelle les fins objectives devraient se mettre, simplement comme moyens. Sans cela, en effet, on ne pourrait trouver jamais rien qui eût une valeur absolue. Mais si toute valeur était conditionnelle, et par suite contingente, il serait complètement impossible de trouver pour la raison un principe pratique suprême.
Emmanuel KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, tr. Delbos, Delagrave, Paris, 1989, p. 148-149.
Questions :
1. En quoi l'être humain répond-il aux caractéristiques de l'être métaphysique requis pour pouvoir fonder un impératif catégorique possible ?
a) Comment la fin et le moyen s'articulent-ils relativement à l'existence de l'être humain ?
b) En quoi s'explique-t-il par sa nature d'être raisonnable ?
2. Pourquoi, dès lors, l'homme doit-il toujours être considéré "non simplement comme un moyen" mais toujours "en même temps comme fin" ?
3. Pourquoi, pleinement affranchi des inclinations, doit-il être "le souhait universel de tout être raisonnable" ?
4. Qu'est-ce qui définit une chose et quelle est sa valeur, d'un point de vue moral ?
5. Qu'est-ce qui, au contraire, définit les personnes et quelle est leur valeur, d'un point de vue moral ?
6. Les personnes constituent-elles dès lors des "fins simplement subjectives", ou bien des "fins objectives" ? Pour quelles raisons ?
7. En quoi cela est-il la condition nécessaire sans laquelle "on ne pourrait trouver jamais rien qui eût une valeur absolue" ?
8. Quel type de valeur fallait-il par conséquent trouver pour pouvoir fonder "un principe pratique suprême" ?
Extrait 3 :
Si donc il doit y avoir un principe pratique suprême, et au regard de la volonté humaine un impératif catégorique, il faut qu'il soit tel que, par la représentation de ce qui, étant une fin en soi, est nécessairement une fin pour tout homme, il constitue un principe objectif de la volonté, que par conséquent il puisse servir de loi pratique universelle. Voici le fondement de ce principe : la nature raisonnable existe comme fin en soi. L'homme se représente nécessairement ainsi sa propre existence ; c'est donc en ce sens un principe subjectif d'actions humaines. Mais tout autre être raisonnable se présente également ainsi son existence, en conséquence du même principe rationnel qui vaut aussi pour moi* ; c'est donc en même temps un principe objectif dont doivent pouvoir être déduites, comme d'un principe pratique suprême, toutes les lois de la volonté. L'impératif catégorique sera donc celui-ci : Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen.
Emmanuel KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, tr. Delbos, Delagrave, Paris, 1989, p. 149-150.
Questions :
1. Qu'est-ce qui doit fonder, en dernière instance, l'objectivité de l'impératif catégorique ? pour quelles raisons ?
2. Pourquoi ce qui est une fin en soi est-il nécessairement une fin pour tout homme ?
3. Pourquoi "la nature raisonnable" existe-t-elle "comme fin en soi" ?
4. Pourquoi l'homme se représente-t-il nécessairement sa propre existence comme celle d'une fin en soi ?
5. Si cette représentation constitue un principe subjectif pour les actions humaines, que peut-on formuler à partir d'elle, et qu'est-ce que cela rendra possible ?
6. Que rend en outre possible le fait que "tout autre être raisonnable se présente également ainsi son existence, en conséquence du même principe rationnel qui vaut aussi pour moi" ?
7. Pourquoi ce principe acquiert-il, de ce fait même, une valeur d'objectivité ? Quel type de propositions peut-on dès lors en déduire ?
8. Analysons la troisième formulation de l'impératif catégorique qui résulte des analyses précédentes de Kant : "Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen."
a) Le mot "universel" n'apparaît plus explicitement, mais son concept est présent sous une autre forme : laquelle ?
b) Quels sont les avantages d'une telle reformulation pour fonder une morale du devoir ?
c) En quoi cette reformulation permet-elle de distinguer différents types de devoirs ? Lesquels ? Pour répondre, analysez la formule : "Aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre".
d) Qu'est-ce qui devient, dans cette formulation de l'impératif, l'objet du devoir, c'est-à-dire ce qui permet de lui donner une objectivité concrète ?
9. Expliquez en quoi l'impératif de ne jamais traiter une personne "simplement comme un moyen", revient à interdire de traiter une personne comme une chose, quand bien même dans notre vie pratique nous nous servons d'elle.
a) Pour le comprendre, prenez un exemple de situation pratique où nous utilisons l'autre en vue de satisfaire nos fins propres, et analysez-le de façon à en montrer les conséquences morales.
b) Si l'impératif commande de traiter toute personne "toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen", interdit-il pour autant de traiter une personne comme un moyen ?
c) En quoi la simultanéité des deux clauses ("en même temps") permet-elle d'éviter le risque de réduction d'une personne au rang de chose, et au moyen de quelle articulation conceptuelle ?
10. Quelles activités humaines seraient rendues immorales, si l'impératif interdisait totalement de traiter des personnes comme des moyens ? Cherchez des exemples.
11. Cherchez la définition du mot "vertu". Quelles vertus cette troisième formulation de l'impératif catégorique permet-elle de définir et de fonder :
a) pour la personne qui se traite ainsi aussi bien elle-même que les autres ;
b) pour les personnes ainsi traitées, y compris le sujet qui les traite ainsi, et l'humanité entière ?
Réflexion :
En vous appuyant sur l'analyse des trois extraits ci-dessus et sur l'ensemble de vos analyses du Fondement de la métaphysique des mœurs de Kant, vous traiterez au choix l'un des sujets suivants :
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